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Mitterrand, Anne Pingeot, dattes et citrons confits

Saul Leiter (merci Sophie Avril)

Saul Leiter (merci Sophie Avril)

François,

A.Gide a écrit : Le plus précieux de nous même est ce qui reste informulé.
Aussi je me demande lorsque "presque" tout est formulé, ce qui subsiste...
François je reviens, je reviens avec cette envie de vous parler de correspondance, puisque nous partageons ce goût, celle de François Mitterrand à Anne Pingeot.
Je parcours à nouveau quelques extraits. Je trouve dans ces lettres une qualité d'écriture, magistrale, l'éphéméride d'une France du point de vue d'un président qui me parait toujours un peu en retrait, je lis une sensibilité que je n'imaginais pas et puis une poésie, subtile.

"Quand je dis qu'avec vous s'éveillent des sentiments que je n'ai jamais connus(et là, vous avez tendance à mettre ces paroles sous la rubrique du "coquillage") cet aspect de ma tendresse pour vous justifie mon propos : pour la première fois, je sors de moi.
Si vous saviez comme j'ai appris à garder pour moi seul mes rêves, mes ambitions, mes peines ! Mêlé trop tôt à des collectivités indifférentes ou brutales, j'ai dû composer ma force autour d'un raidissement intérieur que rien ne pouvait fléchir. Exprimer ce que je possédais de plus authentique me semblait aveu de faiblesse. Et peu à peu s'est noué en moi un lacis de refus. Au milieu des passions et des intérêts j'ai abrité le secret de mon être derrière un mur si haut et si épais que lorsque j'ai aimé, ou bien lorsque j'ai voulu convaincre, l'obstacle qui m'avait si longtemps préservé a fini par m'enfermer. Dans l'isolement où je m'étais complu ni la joie ni la paix ne venaient plus me visiter. Avec vous j'échange, je communique, je communie. Je suis comme délivré"

comment ne pas admirer ce qui est admirable.

Mais
Mais vous me connaissez François B, chez moi mets et mais se conjuguent volontiers, en bien, en mal.
Dans ce conte de fée, je ne trouve ni prince ni souillon mais un roi et une jeune et belle bourgeoise, des convenances, des inconvenances et peut-être une certaine forme de lâcheté.

Il me semble que Jérôme Garcin a émis l'hypothèse que François Mitterrand a écrit ces lettres en songeant qu'un jour elles seraient publiées.
Manqueraient-elles alors de spontanéités ? de causticités ? d'humour ?
A travers ces lettres j'entrevois aussi le plaisir de braver la morale, d'entretenir ce doublon de famille, cette petite musique polygame, inconnu aux yeux du petit peuple mais connu du sérail parisien.
Entretenir tout ce petit monde et s'en porter tout à fait bien.
Nous montrer en parallèle à la télévision, un cliché, un modèle, femme, labrador, gilet en laine et maison de campagne, si simple, si banal.

Ces lettres, ses lettres, ses mots me touchent alors que j'imagine un président au crépuscule, s’efforçant, luttant pour entretenir ce feu, brasillant, intact, au cœur.
Je vois dans ce vieil homme malade l'homme fougueux qui est tombé sous le charme d'Anne, ravissante Anne sur la plage d'Hossegor, portant un châle sur ses épaules, un béret légèrement de travers et à la main un panier en osier, ravissante Anne, femme puissante.

Se fait-on jamais une vraie idée de l'autre ? J'aime assez l'idée de cette complexité, qui échappe, insaisissable, fragmenté. N'avons-nous pas tous nos jardins secrets ?

Enfin je finirai par ceci, à l'approche des présidentielles, il est bon de s'imaginer que jadis, nous avons eu quelques présidents lettrés, avec ce qu'on appelait un "bagage" culturel. Aujourd'hui les bagages sont surtout de luxe, mais qu'y a-t-il à l'intérieur ?

J'ai été un peu longue, pardonnez moi François.
Laurence Gaillard

Saul Leiter (remerci Sophie)Saul Leiter (remerci Sophie)

Saul Leiter (remerci Sophie)

Chère amie,

Je partage en tout point votre avis sur la correspondance de François Mitterrand et d’Anne Pingeot, de la thèse à la synthèse, en passant par l’antithèse.
Oui, ces lettres sont, pour les extraits que j’en ai lus, d’une beauté admirable, d’une poésie, subtile, comme vous dites…. Ô comme j’aime quand vous me faites le coup de la virgule ! (sourire)
Mais oui, ce désir d’inconvenance, dans la convenance, de transgression, au sein même de la bienséance bourgeoise, peut laisser un arrière goût amère et artificiel au commun des mortels.
Il est vrai toutefois qu’aujourd’hui, nous avons bien d’autres raisons, et, ô combien plus graves et importantes, de nous sentir floués, grugés, bernés, par de grossiers incompétents malhonnêtes qui nous laissent en bouche un goût chimique, bien loin de saveurs authentiques.
Je souris, quand je lis vos réflexions sur la complexité, le mystère, le secret, l’insaisissable… Oui, ma chère inconnue, vous savez de quoi vous parlez, en effet… (sourire) Mais, vous n'êtes pas sans l'ignorer, j’aime cela, le mystère, l’ombre, l’énigme… bien plus intéressant et excitant que cette transparence vers laquelle tend l’humain de notre ère, jeté, nu, en pâture, sur la place publique, par ses semblables ou par lui-même…

Vous trouverez peut-être que je vous ai bien vite expédié les lettres de François Mitterrand, et vous aurez raison… Pour être sincère avec vous, j’ai peu de goût pour les biographies, autobiographies, correspondances, mémoires… car, à la réalité, je préfère de loin le roman, peut-être me fait-il davantage rêver ; à loisir, je peux imaginer les personnages, et laisser vagabonder mon imagination… Vous me rétorquerez : « Mais qu’est-ce la réalité ? Dans la réalité, ne reste-il pas toujours des zones d’ombre, connues des protagonistes seuls ? » Et nous reviendrons ainsi au point de départ de notre discussion : la complexité et le mystère de l’homme… bon, bref...

En réalité, j’ai vite expédié François Mitterrand, parce que c’est de tout autre chose dont je souhaite vous parler aujourd’hui, un sujet beaucoup moins philosophique, beaucoup moins noble, quoique…, beaucoup plus prosaïque…
Je crois savoir que nous partageons trois passions, au moins… : la lecture, le jardinage et la cuisine. C’est déjà beaucoup, ne trouvez-vous pas?
L’esprit, l’estomac, la nature
L’essentiel,résumé en trois mots.
Oui oui, manquent les sentiments, l’amour, le sexe, oui oui, je vous entends d'ici (sourire)…
Non, non, non,
Laurence Gaillard !!! Je ne vous parlerai pas de sexe aujourd’hui !!! C’est de cuisine que je veux vous entretenir aujourd’hui, car je sais que vous avez une grande bouche, un gros estomac, malgré un petit bidon, et un très bon appétit. Vous avez, comme on dit, le palais fin et les papilles frétillantes, ouh ouh ouh, voyez, le sexe n’est jamais loin quand on parle cuisine (sourire).

Voilà voilà, j’en viens au fait. Je veux partager avec vous la recette de mon sauté de veau à l’orientale, façon tajine, aux dattes et citrons confits. Alors alors ? Ma recette vous intéresse-t-elle ? Je suis certain que vous en salivez, j’en mettrai ma main coupée, oui oui, que ma main, faut pas pousser quand même…. (rires, qu’est-ce qu’on se marre ensemble non, vous ne trouvez pas ?...)

Allez ! Trêve de plaisanterie ! Prenez votre cocotte et votre cuillère en bois, ma mystérieuse !

Vous faites chauffer l’huile d’olive et vous commencez par faire revenir l’oignon émincé et les morceaux de veau coupés en gros cubes.
Dès que la viande est colorée, vous ajoutez le cumin, les 5 baies moulues, le miel, et les citrons confits coupés en quartiers.

Vous déglacez tout de suite après avec un bouillon cube.

Vous ajoutez ensuite les dattes, l’ail écrasé et 1 cuillère à soupe de ras el hanout, (figurez-vous que j’ai échappé la boîte, c’était très très piquant !!! Faites gaffe pour vos hémorroïdes... voyez comme je pense à vous)
Vous ajoutez aussi un peu de curcuma et les bâtons de cannelle.

Vous recouvrez le tout de bouillon.
Attention : il faut que le bouillon couvre toute la viande!

Dès que la préparation est chaude, vous ajoutez le safran, et vous faites mijoter à couvert pendant 1 h à 1 h 30, plus 1h30 que 1h, d’ailleurs, en remuant régulièrement.
Au bout d’1h30, vous ajoutez les pommes de terre coupées en deux et vous laissez re-mijoter 25 minutes.
Une fois les pommes de terre à peu près cuite, vous laissez cuire le tajine encore 10 minutes sans couvercle.

Et le tour est joué ! Il n’y a plus qu’à déguster !

Maintenant que j’y pense, peut-être serait-il préférable de n’ajouter les dattes que sur la fin, en même temps que les pommes de terre, afin d’éviter qu’elles ne se délitent de trop…

Bon appétit Laurence, en espérant que vous vous régalerez, en pensant à moi…

Et normalement, vous en aurez aussi pour le lendemain, et même pour le surlendemain, à moins que vous ne préfériez congeler…

Votre François, en tablier (mais pas de sapeur, quoique… il paraît que j’ai fait un peu de gras cet été…)

PS. Récapitulons les ingrédients :
800g-1kg de veau dans le collier ou l’échine
1 oignon émincé
2 ou 3 gousses d’ail
1 cuillère à soupe de cumin
Mélange 5 baies
2 cuillères à soupe de miel
3 ou 4 citrons confits
1 bouillon cube
10 dattes
1 cuillère à soupe de ras el hanout
Curcuma
1 ou 2 bâtons de cannelle
1 capsule de safran

8 pommes de terre

 

Lily Dufar

Mitterrand, Anne Pingeot, dattes et citrons confits
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